Août 2010

Jamais il n’aurait imaginé rencontré une femme comme Gladys, sa petite amie depuis moins d’un mois. Peut-être était-ce le nouveau de cette relation qui ôtait tout ennui de sa vie, mais depuis qu’ils étaient ensembles, Noah se sentait respirer comme il ne l’avait plus fait depuis la fin de ses études. A force d’enchaîner les journées au café sans autre pause que ses séances photos, il avait oublié à quel point cela faisait du bien de simplement savourer l’instant présent…

Click !

Et de prendre quelques photos de sa dulcinée au passage ne gâchait rien à son petit bonheur. Celle-ci éclata de rire, faisant mine de dissimuler son visage à l’objectif de No’. « Arrête de me prendre en photo, je vais finir par me sentir timide. ». Cela agrandit l’éternel sourire en coin du jeune homme. « Il faut bien que je prouve à mes amis que l’on sort ensemble, pas vrai ? Et puis, tu es bien contente de coller mes photos dans ton journal intime après… ». Gladys se contenta de lui tirer langue, adoucissant le geste en serrant un peu la main qui la tenait. Vraiment, que demander de plus. Peut-être que lorsque la sensation exhilarante de tomber un peu amoureux chaque jour se dissiperait, il lui faudrait un peu plus pour mettre du piquant dans leur relation, mais pour l’instant il se sentait tout à fait satisfait. Depuis combien de temps n’était-il pas sorti avec quelqu’un pour le simple plaisir de fréquenter quelqu’un dont il savait pouvoir tomber amoureux si tout se passait bien ? Et tout ça à cause d’un simple livre tombé à ses pieds alors qu’il servait la jeune femme, et qui s’était avéré être son livre préféré. Leur liaison s’était construite à partir de là. Ils n’étaient certes pas prêts à tout affronter tous les obstacles mis sur leur passage, leur couple encore bien fragile, mais à quoi bon penser à l’avenir lorsque le présent lui convenait ?

Autant dire que cette relation ravissait les parents du jeune homme, qui avaient craint pendant quelques temps que leur fils finisse célibataire ou avec un homme. Rien que pour ce dernier point, No’ aurait parfois préféré que ce soit un garçon qui ait possédé ce livre. Enfin, personne n’aurait su se montrer aussi intéressant, aussi longtemps que la jeune femme, pas vrai ? En plus, ses amis l’adoraient, bien qu’il n’en ait pas beaucoup pour juger, mais bon ... Ses parents espéraient même qu’elle le remette sur le droit chemin et le pousse à quitter son rêve de photographe pour un métier aux revenus plus… surs. Hélas, ils misaient sur la mauvaise personne. De toute façon, Noah n’aurait jamais commencé à sortir avec quelqu’un n’acceptant même pas sa passion comme une part intégrante de lui-même. Il voulait bien faire des compromis pour le bien du couple, mais quand même… Et puis, il n’avait pas étudié aussi longtemps la photographie dans une excellente université pour abandonner maintenant. Comment avait-il atterri à Williamsport s’il avait suivi un si bon cursus ? Le besoin de s’éloigner de la grande ville pour prendre des photos qui ressemblaient un peu plus à ce qu’il connaissait, lui qui avait grandi éloigné de tout. Un ami lui avait laissé son appart’, alors il avait sauté sur l’occasion et s’était trouvé un petit boulot au café du coin. Et voilà, vous savez tout. Mais c’est l’avenir qui se montre tellement plus intéressant…

Septembre 2010

Voilà des jours que Noah était coincé au lit, une migraine terrible obscurcissant ses pensées. Il lui semblait que chaque ébauche de pensée ou d’émotion se répercutait dans son crâne. Pour ne rien arranger, le temps correspondait à son humeur et la pluie s’abattait sur sa maison depuis plusieurs heures. Alors qu’il s’apprêtait à se rendormir à l’heure peu décente de quatre heures de l’après-midi, il entendit vaguement le bruit de sa porte d’entrée au milieu de la brume qui engourdissait son esprit. Son visage se détendit lorsqu’il aperçut Gladys et un léger sourire éclaira son visage. « Désolé de ne pas avoir pu passer te voir, je ne sais pas ce que j’ai, mais j’arrive à peine à bouger ». Tout à son faux apitoiement (à moitié en tout cas), il ne remarqua pas le manque de réaction de sa dulcinée à ses bouderies habituelles. Combien de fois par la suite raterait-t-il les infimes changements qui se produisaient chez elle ? Il ne saurait le dire. Quoi qu’il en soit, elle s’assit sur le bord de son lit, poussant un léger soupir. « Je vais m’occuper de toi, ne t’en fais pas. ». Et toute à sa confiance aveugle, il accepta sans broncher les soins qu’elle lui procura le reste de la soirée, alors même que la soirée se prolongea en jours.

Il finit par reprendre peu à peu ses esprits grâce à tous les conseils que lui prodiguait la jeune femme. Il n’avait aucune idée de comment cela avait pu soulager sa migraine, mais se concentrait sur autre chose comme un livre, tenter de se détendre et de ne pas forcer, la relaxation et toutes les choses de ce genre l’aidaient considérablement. Baillant à s’en décrocher la mâchoire, il quitta son lit, enfilant un polaire un passage. Dieu merci (s’il savait), il avait arrêté de pleuvoir. Il pouvait même apercevoir quelques rayons de soleil au loin.

Il trouva Gladys sur le salon de son canapé, en train de feuilleter son journal intime, l’air tellement concentré que No’ ne put s’empêcher de tendre la main pour frotter les plis entre ses sourcils. Ou du moins c’était son intention, vu qu’elle se rétracta brusquement. Il resta bêtement la main en l’air, clignant des yeux, perplexe si ce n’est légèrement blessé devant la visible réticence de sa compagne à se laisser toucher. Mais elle adressa rapidement un sourire brillant. « Désolé, j’étais totalement plongé dans ma lecture, je ne voulais pas t’éviter ». No’ se détendit visiblement, lui adressant lui-même un sourire en coin avant de s’assoir à ses côtés. « Qu’est-ce que tu lis si attentivement ? ». Le froncement de sourcil revint immédiatement à sa question. « Je ne comprends pas comment j’ai pu écrire ce genre de choses. Tu ne trouves pas cela niais d’écrire sa vie dans un journal ? ». Cela déstabilisa le photographe. C’était ce que lui-même avait posé comme question à la jeune femme, et elle avait disserté pendant plus d’une dizaine de minutes sur le plaisir que lui procurait ce simple geste. Il avait fini par comprendre que de la même manière qu’il fixait sur du papier photo ce qu’il aimait, elle l’écrivait. Depuis, d’un commun accord, il lui donnait des photos au dos desquelles elle écrivait avant de les ranger soigneusement dans son journal, qui était peu à peu devenu le leur.

Ce petit incident ne devait être que le premier. Si ce soir-là il accepta volontiers de lui réexpliquer ce qui cachait derrière cette petite action tellement humaine qu’était celle de se confier, même à un objet, la récurrence de ce genre de situations le mettait un peu mal à l’aise. Il lui semblait qu’elle ne cessait de s’interroger sur des actes élémentaires de la vie courante. Mais comment aurait-il pu se douter de quoi que ce soit ?

Janvier 2011

Noah sifflotait tranquillement alors qu’il développait ses photos dans sa chambre noire. Les moments comme celui-ci lui faisaient un bien fou avec tous les bouleversements récents de sa petite vie tranquille, ou devrait-il dire de la vie de tous les habitants de la ville ? Par où commencer ? Peut-être par Gladys ? Sa vie ne semblait plus tourner qu’autour d’elle ces derniers mois. Lorsque son esprit avait été débarrassé des plus grosses migraines, il avait fini par s’apercevoir qu’elle était... différente. Peut-être ne la connaissait-il aussi bien qu’il le pensait. Après tout, ils ne sortaient ensemble que depuis deux mois lorsqu’il avait commencé à suspecter quelque chose d’étrange. Mais autant ces changements le déstabilisaient-ils, autant ne les détestait-il pas. Cette Gladys qu’il redécouvrait tous les jours était simplement fascinante. Elle semblait en savoir toujours plus que ce qu’elle ne le laissait entrevoir, son esprit plus vif et plus aiguisé qu’avant. Elle ne manquait jamais d’histoires étranges sur les gens autour d’eux à raconter, bien qu’il n’ait aucune idée de comment elle pouvait connaître autant de secrets. Parallèlement, les premières semaines, elle avait toujours le nez plongé dans son fameux journal intime, comme si elle cherchait à l’apprendre par cœur. Parfois, il lui semblait qu’elle réagissait comme si leur relation passée n’était que mots et photos, et non pas des souvenirs. Elle disparaissait aussi régulièrement, le menant parfois au bord du gouffre lorsqu’elle s’énervait subitement suite à une action quelconque de sa part qui n’aurait jamais une réaction semblable chez la jeune femme qu’il avait rencontré au café.

Mais tous ces détails ne le rendaient que plus curieux de la connaître encore mieux, comme si une vie entière passée à ses côtés ne suffirait pas à décrypter ses mystères. Il ne s’ennuyait jamais, attiré comme un enfant par des promesses de surprise inespérée. Chaque jour il lui découvrait une nouvelle facette. Parfois elle se montrait passionnée, parfois complètement désintéressée. Et malgré ses sautes d’humeur, jamais elle ne l’avait laissé tomber, même après avoir découvert qu’il avait visiblement une influence sur la météo. Quel choc mon Dieu ! Comment aurait-il pu imaginer qu’il se retrouverait doté de pouvoirs réservé aux héros de ses livres d’enfant ? Et elle, au lieu de fuir, s’était montrée plus douce qu’elle ne l’avait jamais été, compréhensive. Elle l’aidait même à contrôler ses sautes d’humeur. Elle consistait un catalyseur dont il n’aurait jamais pu rêver, quand bien même il se serait douté qu’il allait se retrouver au contrôle d’éléments aussi instables. Bien sûr, il était loin, très loin de se maîtriser, et parfois il sentait qu’elle perdait patience, comme s’il fallait qu’il aille plus vite pour une raison qui lui échappait. Mais chaque fois qu’il abordait le sujet, elle se contentait de sourire légèrement et de le rassurer, comme quoi il fallait du temps pour ce genre de choses.

Noah laissa un léger sourire lui échapper à la pensée de sa dulcinée, avant d’enfin aller observer les quelques dernières photos qu’il avait développées. Il en attrapa une délicatement, ravi de l’effet rendu. Il se saisit de la deuxième… avant de tout laisser tomber, un frisson d’effroi agitant doucement son échine. Redez une première fois la cause de sa terreur, et vous ne comprendrez probablement pas sa réaction. Alors observez attentivement. Voyez au-delà de l’innocent reflet du soleil sur le lac et apercevez ce visage déformé par… la haine, la cruauté, la fureur ? Ce regard si sombre que le diable aurait pu s’y contempler. No’ aurait pu jurer que cette femme aux yeux si noirs n’était pas sa compagne. Non, plutôt mourir que d’accepter qu’une expression de telle colère puisse apparaître sur le visage délicat de celle qu’il aimait. Il aurait tout donné pour croire à une simple erreur de développement.

Il refusa d’abord d’y croire. Comment Gladys aurait-elle pu apparaître ainsi sur une photo voyons ? Des yeux pareils n’existaient pas. Il ne voulait même pas imaginer les conséquences sur son existence de cette vérité si effroyable. Il lui semblait peu à peu glisser dans des brumes où les mensonges et les preuves se disputaient à son regard voilé par les sentiments. Il avait toujours cru que les photographies ne pouvaient mentir, sans doute s’était-il trompé. Jusqu’où en était-il arrivé s’il préférait remettre en question sa passion de toujours plutôt qu’elle ? Il ne cessait de contempler la photo, comme si ses yeux finiraient par voir la vérité qu’il souhaitait tant. Mais il finit par se reprendre. Qui était-il pour juger quoi que ce soit ? Ne pouvait-il pas contrôler le temps ? Il devait sûrement y avoir une explication rationnelle parmi tous les secrets qu’elle détenait. Elle ne pouvait simplement pas être l’un de ces démons dont il avait entendu parlés n’est-ce pas ? Son meilleur ami lui avait laissé comprendre que des créatures si terribles qu’elles lui glaçaient le sang existaient mais… Pas sa Gladys. Quelle coïncidence cela serait-il n’est-ce pas ?

Alors il laissa tomber de ses mains tremblantes la photo froissée par de trop nombreuses manipulations sur le sol poussiéreux de son appartement. Parce qu’il n’était plus l’homme indépendant qu’il avait autrefois été, parce qu’il avait simplement besoin d’elle, parce que tous ses travers étaient son oxygène. Et s’il lui fallait en accepter un autre, il le ferait.

Février 2011

« C’est terminé »

Ces quelques mots suffirent à faire s’écrouler le monde de Noah autour de lui. Encore une fois. Il fixa Gladys dans les yeux, incapable de formuler quoi que ce soit. Il ne pouvait que voir les larmes sur le point de couler, comme si elle-même était incapable de croire qu’elle prenait cette décision. Il crut un instant qu’elle allait se raviser, mais elle prit une grande inspiration, et hocha de nouveau la tête comme pour affirmer sa décision.

« Je ne suis pas celle que tu aimes ». Elle leva une main pour stopper les contradictions qu'elle connaissait déjà. « Autrefois tu m’aimais. Mais lorsqu’elle a pris ma place, tu es tombé amoureux de ce masque qu’elle t’offrait. Ne te voile plus la face Noah, jamais je ne serais aussi fascinante à tes yeux qu’elle l’a été. Je le vois à ta façon de me regarder. Peut-être aurions-nous pu fonctionner mais elle a… tout changé. Je ne t’en veux pas, c’est aussi de ma faute pour ne pas vouloir essayer plus longtemps. Cesse de t’en vouloir, tu ne pouvais savoir. Au revoir No’ ». Et elle tourna les talons. Elle s’arrêta quelques instants lorsque la pluie s’abattit brutalement sur eux, mais reprit sa route sans se retourner. Et No’ l’accepta. Avait-il seulement le choix, sachant depuis des jours déjà que jamais il ne retrouverait en elle la femme qu’il avait appris à aimer ces derniers mois ? Elle n’avait été qu’une illusion, l’aurait tué si des chasseurs n’étaient pas intervenus pour le sauver, mais il ne l’oubliait pas, ne le pouvait tout simplement pas. Mais qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ? Parfois il se demandait ce qu’il se serait passé si son meilleur ami n’avait pas trouvé la photo sur son parquet, n’avait pas exorcisé la femme, devrait-il dire le démon ?, sur le point de le tuer pour avoir découvert la vérité.

Physiquement, il ne gardait de cette soirée qu’une cicatrice au cou, là où elle l’avait agrippé. Psychiquement… Mon Dieu, si vous saviez combien il avait essayé d’aimer la Gladys du début, celle qui l’avait intéressé avec son livre, du temps où des meurtres ne ravageaient pas la ville. Il l’avait soutenue, aidée à se remettre de son expérience traumatisante. Il s’était même renseigné sur les démons, reconnaissait que celle qui avait pris possession de sa... non, de son ex petite amie, ne l’avait probablement jamais aimé. Elle souhaitait simplement mettre à son service un Élu. Et elle avait failli y arriver. Comment aurait-il pu lui refuser de la protéger ? Bien sûr il n’aurait jamais tuer, et encore, qui sait ? Les statues des Eglises pleuraient bien sur son passage. Et au final, c’est elle, la Gladys traumatisée au-delà des mots, qui avait eu le courage de mettre des mots sur leur relation. Elle, qui avait failli ne pas survivre à une possession trop longue. Cela faisait-il de lui un lâche que de vouloir la rattraper, la serrer contre lui et oublier que les démons avaient jamais existé ?

Mars 2011

Le revoilà dans le même parc que des mois auparavant, quand tout allait bien et qu’une simple nouvelle relation avait suffit à le remplir d’une joie pure et innocente. Venir ici l'aidait à se remettre. Peu à peu, il allait mieux. Après tout, tout le monde a son lot de relations qui finissent mal. Il apprenait peu à peu qu’il lui faudrait se battre, comme tout le monde. Et s’il lui arrivait de chercher des yeux noirs au fond de ses photos et bien… Le temps guérit de tout, n’est-ce pas ?

☜ GROUPE DU PERSONNAGE ☞

Noah n’aurait jamais imaginé se retrouver au cœur d’une guerre similaire à celles qu’il lit chaque jour dans ses livres préférés. Quand ses migraines sont apparues, il ne pensait qu’être malade, pas découvrir que ses sautes d’humeur détraquaient aussi la météo. Franchement, c’est vrai que son pouvoir a l’air cool… dans les films. Vous n’imaginez pas à quel point c’est dur de maîtriser autant de paramètres à la fois. Quand aux démons ? Et bien il connaît leur existence, vaguement renseigné par un chasseur à ce sujet. Il a fini par prendre sa décision et se ranger du côté des battants, au moins un peu. Peut-être sera-t-il plus actif lorsqu'il ne trébuchera pas sur lui-même dès qu'il cherche à se battre et que son don sera un peu plus sous son contrôle. Mais parfois son âme chavire, rien qu’un peu. Les démons ne sont-ils pas fascinants ? Surtout... L'a-t-elle jamais aimé ? Il se doute bien que non mais... avoir aimé un démon est censé laisser une trace, pas vrai ?

c. Mimi